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« La France a perdu ses lumières » – Interview de Jacques Darmon, journaliste pour la Revue Lux

Portrait_jacques_darmonJournaliste pour la revue Lux, Jacques Darmon a vécu les révolutions de l’éclairage de ces 40 dernières années. De la création de l’ACE, à laquelle il a participé, à l’électronisation croissante de l’éclairage, il dresse un état des lieux de cette industrie en France. Analysé grâce à sa connaissance de cette filière et de ses acteurs, le constat est sans appel : la France reste en retard au niveau des performances et de trop nombreuses applications.

Pouvez-vous nous retracer les grandes étapes de votre parcours professionnel ?  

C’est à l’occasion d’une rencontre en 1970 que j’ai eu l’opportunité d’associer ma formation en électrotechnique avec le journalisme, vers lequel je m’étais orienté par amour de la photographie. 

J’ai surfé sur le renouveau de la lumière, époque où les villes découvraient son importance au-delà de l’éclairage public. La lumière permettait d'en redécouvrir le patrimoine, de prolonger la vie le soir et la sécurité. En 1992, le président de l’AFE, Michel Dresto, m’a proposé d’assurer la rédaction de la Revue Lux pour l’AFE. J’en ai été rédacteur en chef jusqu’en 2002.

La décennie 80 a réellement été marquée par la structuration de la filière électrique, dont celle de l’éclairage, seule application visuelle de l’usage de l’électricité symbolisée par la relation directe entre l’interrupteur et la lumière : « j’allume ou j’éteins ».  Mon regret depuis cette époque : je pensais qu’en voyant ce qu’il est possible de réaliser avec une lumière de qualité, les habitants allaient la faire entrer chez eux. Et bien non. En France, on est toujours peu regardant en éclairage intérieur domestique de qualité.

Cela veut-il dire que la France est en retard dans le domaine de l’éclairage intérieur ?

Malgré les bienfaits de la lumière, le virage en éclairage intérieur de qualité n’a jamais été pris. C’est spécialement vrai dans l’éclairage des bureaux, trop souvent passable. Les Français accordent peu d’attention à leur confort électrique, et surtout à leur confort lumineux.  Il faut dire que la rigidité des normes ne facilite pas les choses.

Le frein des normes

Il y a une norme qui impose d’installer des douilles de chantier à la livraison d’un appartement neuf, afin de laisser la possibilité aux nouveaux occupants de s’éclairer. Combien de fois ai-je vu ces douilles toujours en place après des années d’occupation ?

Autre raison qui limite le développement dans le monde domestique : la normalisation électrique NF 15-100, qui a privilégié les installations électriques encastrées, visibles essentiellement au niveau des prises et interrupteurs. Essayer de modifier un tel réseau électrique est peu pratique et limite la mobilité des points lumineux

L’avènement des LED, avec ses multiples possibilités, devrait enfin permettre une révolution de l’éclairage intérieur. Je la perçois dans le tertiaire. Les ballasts électroniques n’ont pas connu le même développement en France que dans d’autres pays européens, notamment l’Allemagne. Avec les LED, cette technologie est brutalement associée à un éclairage moderne et de qualité. Les maîtres d’ouvrage commencent à porter un intérêt à l’éclairage, tant en termes d’économies d’énergie que de gestion du confort. (Voir le dossier de la revue Lux numéro 276 – mars/avril 2014)

Quelle est l’évolution qui vous a le plus marqué ?

La France était très novatrice en éclairage. La fluo, avant-guerre, est une création française dont on connaît encore aujourd’hui les vertus; les installations fluorescentes ayant été généralisées dans les années 50. Aujourd’hui, 65 ans après, le métro parisien passe aux LED.

L’incandescence a fortement marqué le public et est rentrée dans la conscience collective. Les particuliers associaient le niveau de lumière et la consommation en watts. Le sens de communication était très simple. Les douilles étaient quasiment toute classiques et avec un coût d’achat peu élevée.

A leur origine, les lampes fluocompactes ont perturbé le marché domestique. Les particuliers ont perdu leurs repères. Pour eux, 7, 9 ou 11 watts, ça ne veut rien dire. L’IRC est encore plus abstrait. Ils achètent donc la moins chère. Pour les LED, c’est encore pire. On ne parle plus en lux mais en lumen. Hormis les professionnels, personne n’en comprend la signification.

 « Les particuliers ont rejeté la fluo, et c’est là que le marché de l’éclairage a subi de gros dommages »

Quand l’incandescence a été retirée pour favoriser les lampes à économie d’énergie, le public a apprécié. Mais très vite, au regard des piètres performances lumineuses des lampes d’entrée de gamme, les fonds de tiroirs ont été raclés pour retrouver la chaleureuse lumière de l’incandescence. Il y a un manque d’éducation considérable sur l’éclairage. Les particuliers savent que la lumière est indispensable et ils paniquent dans le noir. Par contre, ils ne réagissent pas quand l’éclairage est de mauvaise qualité, la demande réelle du « bien éclairer » n’existant pas encore.

Une certaine culture reste à acquérir pour le public afin d’obtenir une perception pertinente de l’éclairage. Espérons que les promesses des LED permettent d’y remédier.

Quel est le rapport de la France avec l’éclairage ? Peut-on parler d’un marché de l’éclairage en France ?

La France a perdu « ses lumières ». On comptait il y a quelques années, de nombreuses grandes sociétés françaises d’éclairage, comme Claude ou Mazda. Aujourd’hui, les grandes sociétés présentes sur le territoire ne sont plus d’origine française.  Même si des leaders internationaux ont conservé des centres de compétences sur notre territoire, la France a perdu son leadership dans ce domaine, contrairement à d’autres secteurs de la filière électrique.

« Les LED jouent déjà un rôle essentiel dans l’éclairage de demain. Bien sûr, il existe certains dangers à ne pas avoir accès ni aux composants ni aux terres rares. »

Les sites industriels demeurant en France sont des sites de production traditionnels, non transformables et qui n’ont donc pas la capacité de suivre les évolutions technologiques. C’est là le grand danger des LED pour ce tissu économique, avec les plans sociaux qui pourraient en découler. D’une production traditionnelle, ils doivent passer à une production électronique et ce face à des concurrents comme Toshiba ou Samsung qui sont beaucoup plus gros qu’eux, présents sur le marché de l’électronique depuis longtemps.

Avantage de ces entreprises toujours présentes en France : elles ont créé une marque, reconnue sur le marché. Ces acteurs y sont légitimes, alors que les fabricants d’origine électronique n’ont pas la même légitimité sur les marchés traditionnels de l’éclairage. A l’inverse, ces derniers bénéficient tout de même de leur rayonnement international, ce qui en fait de sérieux concurrents.

La France fait pourtant preuve d’initiatives, grâce à des start-up tout à fait remarquables, dont certaines ont fait le buzz à Las Vegas à l’occasion du CES 2014. Malheureusement, ces PME ont difficilement accès à leur marché cible : les bâtiments et le marché de l’éclairage, très conservateurs. C’est un vrai défi pour les entreprises françaises innovantes.

Quel est l’avenir de l’éclairage selon vous ?

Les commandes d’éclairage, aujourd’hui, ne se limitent plus à « j’allume, j’éteins ». Gérer automatiquement l’éclairage devient un acte responsable consistant à éteindre quand il n’y a personne dans les locaux. Les français ne sont pas bons quand il s’agit d’autodiscipline.

 « Selon moi, le changement majeur des nouvelles technologies telles que les LED pourrait être de revenir au courant continu, d’ici à 2050, pour les installations électriques domestiques ».

Aujourd’hui, les bâtiments d’habitation sont alimentées en alternatif et en 220 volts. Or, les seules installations nécessitant une alimentation en 220 volts (380 dans certains cas) sont les pièces équipées de gros appareils ménagers telles que les cuisines et les buanderies.

En faisant abstraction de ces pièces techniques, aucune autre pièce n’a, en fait, besoin de cette puissance, hormis pour l’éclairage. La pérennisation de l’éclairage LED pourrait modifier cette réalité en fournissant la distribution en basse tension ce qui limiterait l’usage de multiples transformateurs abaisseurs de tension trop consommateurs d’énergie.

Quels conseils donneriez-vous à la jeune génération ?

La palette des métiers qu’offre la lumière naturelle et artificielle est vaste, allant des plus  technologiques à ceux  plus artistiques. N’importe qui entrant dans la lumière, quel que soit son souhait et quelles que soient ses capacités, peut y exercer une fonction qualifiante.

« Aujourd’hui tout le monde pourrait réussir sur ce marché en faisant preuve de créativité, mais encore faut-il parvenir à y entrer. L’accès y est trop figé et trop cloisonné, avec une multitude de professions travaillant en vase clos. »

L’expérience terrain représente également une formation appréciée, en complément des cours académiques. Or la lumière nécessite la maîtrise et la pratique de techniques très larges et très variées. L’apprentissage serait une bonne solution, mais il est encore trop mal perçu en France. Il existe encore un gros travail à faire à ce niveau.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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